
(Tribune parue sur le site LSA, le 24/04/2019)
"La loi EGAlim issue des Etats généraux de l’Alimentation, en cours de finalisation en ce printemps, porte la haute ambition d’assurer une meilleure création de valeur au sein des filières agricoles et alimentaires et d’en permettre une plus juste répartition entre les différents acteurs. Son objectif de proposer une alimentation plus saine, plus sûre, plus durable et plus accessible à tous ne peut être également que saluer.
Malheureusement, tous les moyens ne sont pas aujourd’hui prévus pour assurer la concrétisation de cette vision. Plus encore, certaines dispositions risquent de mettre sérieusement à mal l’équilibre économique des filières et des territoires.
Par le projet d’application de la notion de prix abusivement bas à la relation coopérative/adhérent, l’engagement coopératif se voit mis sur le même plan que le contrat commercial : l’ordonnance de l’article 11, consacré exclusivement au modèle coopératif, vient programmer, sans détour, le démantèlement des entreprises des agriculteurs.
Depuis le mois de janvier et la découverte de cette disposition, le réseau Coop de France s’est fortement mobilisé contre l’application du dispositif de contrôle du prix abusivement bas à la relation entre l’associé-coopérateur et la coopérative.
Si les finalités doivent être les mêmes pour chacun des acteurs et les contrôles applicables à tous, la question des moyens doit être intelligemment posée. Le prix abusivement bas est une notion de droit commercial pour appréhender l’abus qu’un commerçant fait de sa position en rognant ainsi la marge de son partenaire.
Cette notion est alors contraire au droit coopératif, qui relève du code rural. Elle ne peut être envisagée pour la relation coopérative-adhérent, puisque l’intention d’abus ne peut avoir cours en coopérative : appartenant aux agriculteurs et ancrées dans leurs territoires, les coopératives ont pour mission de pérenniser la production de leurs agriculteurs adhérents, en l’orientant, l’organisant et la valorisant au mieux en fonction des différents marchés.
En droit coopératif, nous parlons d’ailleurs « d’apports », qui ne sont pas « vendus » à la coopérative mais « apportés » en vertu d’un contrat qui ne relève pas d’une vente. Placer l’associé dans une situation d’un fournisseur quelconque est une façon de nier la spécificité coopérative et d’antagoniser les intérêts des coopératives et de ceux des coopérateurs, leurs propriétaires. En somme, adhérents/coopératives ne sont qu’un seul maillon de la chaîne !
Le « prix » en coopérative est une rémunération : au cours de l’exercice, le conseil d’administration, composé d’agriculteurs membres élus par leurs pairs en assemblée générale, détermine les conditions de détermination des prix des apports. Chaque année, les agriculteurs-coopérateurs votent l’affectation du résultat : la rémunération coopérative est décidée par des coopérateurs pour les coopérateurs.
Si une coopérative a rémunéré anormalement bas des adhérents, ce n’est pas pour s’enrichir à leurs dépens. C’est par exemple en raison de situations de marchés défavorables. Ce n’est pas pour « abuser » leurs agriculteurs-coopérateurs puisque ce sont bien eux, collectivement, qui prennent les décisions. Prétendre le contraire est un non-sens !
Autre mesure connexe inadaptée : le dispositif prévu de sanctions financières. Appliquer des sanctions financières à des coopératives, pouvant aller jusqu’à 5 millions d’euros, reviendrait à pénaliser encore plus les coopérateurs, déjà défavorisés par des prix bas. Les amendes enlèvent toute possibilité pour la coopérative de redistribuer de la valeur aux coopérateurs ou d’investir dans l’outil collectif.
Prévoir des sanctions contre les coopératives pour le prix abusivement bas constitue donc une double peine pour les coopérateurs !
Coop de France appelle depuis des mois le Gouvernement à rectifier ces intentions. A l’approche de la publication des ordonnances, elle réitère son interpellation pour que les entreprises des agriculteurs français puissent continuer à fonctionner et assurer la pérennité de l’activité agricole et alimentaire sur les territoires.
Nous espérons que nos arguments seront entendus et que les textes définitifs limiteront l’application du contrôle des prix abusivement bas à la relation coopérative – clients !"