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Discours de Dominique Chargé lors du Congrès de La Coopération Agricole - 14 décembre 2022

Mis à jour le 19/12/2022

Seul le prononcé fait foi,

Monsieur le Ministre,

Mesdames et messieurs les députés,

Mesdames et messieurs les sénateurs,

Madame la Présidente de la FNSEA, chère Christiane,

Monsieur le Président de la Cogeca,

Monsieur le Président de Chambres d’Agriculture de France, cher Sébastien,

Monsieur le Vice-président de l’ANIA, cher Jean-Paul,

Mesdames et Messieurs,

Au terme de cet après-midi extrêmement riche et dense, je suis ravi de vous accueillir et je vous remercie de votre présence, Monsieur le ministre, cher Marc, pour clore notre Congrès. Ensemble, tous ensemble, nous allons devoir faire des choix déterminants pour l’avenir… car tout n’est pas écrit.

Cet après-midi, nous avons fait un voyage dans le futur. Avec deux résultats possibles :

  1. Un résultat où notre alimentation nous échappe… pour le pire. Avec une production alimentaire qui ne se fait plus dans nos régions. Avec des produits importés qui occupent l’intégralité de nos assiettes, parce que nous n’avons plus d’industrie pour les fabriquer. La conséquence de tout cela, c’est que la production agricole disparaît elle aussi.

  2. Et puis, il y a un autre résultat possible... pour le meilleur, que raconte le film que nous venons de voir ensemble : une production alimentaire fière et forte. Une nouvelle France alimentaire. C’est le choix du maintien, et même du développement de nos capacités productives. Le choix de filières responsables, de filières compétitives, décarbonées et rémunératrices pour tous les maillons de la chaîne. Le choix d’activités attractives où les jeunes générations sont fières de travailler. Le choix d’une alimentation pour tous, valorisant la richesse, la gastronomie et la diversité de nos produits, la convivialité de nos repas. Un des éléments clés de notre lien social. Un des ciments de notre vivre ensemble.

Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins. Choisissons-nous le chemin de la décroissance, de la destruction de nos chaînes alimentaires ? Voulons-nous confier notre alimentation à d’autres ? Prenons-nous la décision, M. le Ministre, de renoncer à ce qui fait le sel - et la saveur - de notre identité française ? Je ne peux évidemment souscrire à ce scénario ! Nous ne pouvons, collectivement, y souscrire. Parce que nous voulons demain une alimentation française de qualité, issue de nos territoires. ` C’est notre mission et c’est notre responsabilité : à l’égard des agriculteurs de nos régions et des salariés de nos entreprises, à l’égard de nos territoires, à l’égard de nos concitoyens. Et surtout, à l’égard de nos enfants. Parce que nous sommes comptables de l’empreinte que nous laisserons.

Il est urgent d’agir. Il est temps de nous transformer, parce nous sommes bien dans un changement profond et global, un changement structurel.

Les trois années que nous venons de vivre nous ont appris à réfuter nos certitudes d’un monde stable, sûr et abondant. La Covid et la guerre en Ukraine ont fini de nous faire basculer dans une nouvelle ère que l’on ne voulait peut-être pas voir :

  • Les équilibres géopolitiques sont rebattus
  • Les rapports de force économiques sont exacerbés
  • La nouvelle donne climatique s’est imposée, nous faisant vivre une suite historique de gel, canicule et sécheresse, mettant à mal nos cultures et nos productions
  • Nos fonctionnements démocratiques sont contestés. Les extrêmes gagnent du terrain, ce qui nous questionne profondément, nous citoyens et nous coopérateurs.

Bref, les manifestations du changement sont multiples. Elles sont systémiques. Et nous devons les prendre en compte sur l’ensemble de nos activités et de nos filières, de la fourche à la fourchette. Ou plus exactement de la fourchette à la fourche afin de produire pour répondre aux attentes de nos marchés, de nos clients, de nos concitoyens. Pour répondre aussi à l’évolution de notre monde, avec une démographie et une urbanisation qui vont continuer de croître, au moins dans les 30 prochaines années.

C’est pourquoi, nous devons impérativement tenir notre cap de la souveraineté alimentaire, défini il y a deux ans dans un rapport que nous avions remis au Gouvernement. Pour relever le défi de la souveraineté, il faut d’abord faire face aux urgences. Et il y en a une de taille devant nous.

Nous sommes en crise profonde face au mur de l’énergie, qu’il nous faut impérativement surmonter. Il met en péril, à très court terme, notre capacité à maintenir notre production dans certaines filières. Quand une facture d’énergie est multipliée par 10, quand le coût de ce seul poste représente plus de 5 fois le résultat d’une entreprise : comment peut-on imaginer que les activités puissent se poursuivre ?

C’est bien ce dont il s’agit aujourd’hui : la survie des entreprises. L’explication est simple : il y a toujours quelqu’un qui paie. Là, ce sont les entreprises alimentaires qui paient, bien plus encore que les consommateurs. Le rapport de l’Inspection Générale des Finances l’a démontré il y a quelques semaines. Après des années de guerre des prix et de déflation, après des années de compression de marge, ce nouvel effort, ce mur est insurmontable.

Monsieur le Ministre, je salue naturellement les initiatives du Gouvernement qui visent à accompagner les entreprises. Mais force est de constater que ces aides sont à la fois encore trop inaccessibles et largement insuffisantes. J’en appelle donc solennellement, M. le Ministre, à la mobilisation pleine et entière du Gouvernement pour mettre en place des aides adaptées et accessibles pour TOUTES les entreprises. L’enjeu est très clair : assurer l’approvisionnement de nos chaînes alimentaires dans les mois qui viennent, préserver nos filières, nos entreprises ; qui sont aujourd’hui notre alimentation de demain, à nous tous.

Outre ces mesures d’urgence, relever le défi de la souveraineté impose de mener des actions structurantes sur une base partagée : celle de la croissance responsable, avec 3 parti-pris indissociables et complémentaires :

  • Produire plus pour répondre à toutes les attentes ;
  • Produire mieux, avec moins d’empreinte carbone, chimique et plastique ;
  • Et produire durable pour assurer aux agriculteurs et aux entreprises la pérennité de leur activité dans nos territoires, avec des métiers attractifs et rémunérateurs.

C’est le défi que nous avons à relever ensemble, avec vous, M. le Ministre. En tant que coopératives, nous sommes des acteurs clés pour répondre à ce défi de la souveraineté, car nous agissons sur l’ensemble de la chaîne et dans une perspective de long terme. Et nous sommes bien dans une logique globale. Le choix n’est pas de produire OU de transformer, mais de produire ET de transformer. Faire évoluer notre Industrie alimentaire pour la renforcer est donc crucial. Kennedy avait raison : "Les problèmes du monde ne peuvent être résolus par des sceptiques ou des cyniques. Nous avons besoin d’hommes capables d’imaginer ce qui n’a jamais existé."

C’est pourquoi, nous avons axé ce Congrès sur l’innovation et la transformation de notre production alimentaire, à travers le prisme de notre industrie. www.lacooperationagricole.coop Tous nos échanges, cet après-midi, ont contribué à nourrir le débat et me confortent dans la nécessité de nous transformer. Je tiens à remercier : Gabrielle Halpern, Serge Zaka, Frédéric Dabi, Nicolas Hazard, Benoît Bonaimé, Anaïs Voy-Gillis, Nicolas Dufourcq à distance, ainsi que les coopératives Agora et Isigny. Et bien sûr les start-ups qui sont venues présenter leurs innovations et nous ont fait vivre l’alimentation de demain…. Grâce à vous, nous avons pu mesurer pleinement la nécessité de nouvelles interactions, qu’on peut aussi appeler hybridation (pour reprendre le concept de Gabrielle Halpern), et d’une approche globale de la transformation. Comment ?

Nous avons identifié 4 axes prioritaires :

Décarboner nos filières et revoir complètement notre gestion des déchets dans une logique d’économie circulaire,

Rendre nos entreprises plus agiles et connectées, capables de répondre à toutes les demandes,

Optimiser nos flux logistiques, en connectant toujours mieux l’amont à l’aval,

Disposer d’usines compétitives, acceptées par le plus grand nombre : des consommateurs aux citoyens, des citadins aux ruraux, des élus de la République aux riverains. Mais aussi des agriculteurs eux-mêmes aux salariés, dont nous avons tant besoin pour relever tous ces défis !

Nous avons développé ces 4 axes stratégiques, en apportant des propositions concrètes dans notre Rapport sur l’Industrie du Futur que nous publierons dès le début de l’année. Nous serons très heureux, M. le Ministre, de venir vous le présenter pour un échange approfondi. En y associant bien sûr, M. le Ministre délégué chargé de l’Industrie, Roland Lescure. C’est avec cette ambition, déclinée en propositions concrètes, que nous serons en capacité de nourrir les Français demain.` Ainsi, nous sécuriserons notre alimentation de façon durable en proposant des produits sains, sûrs, accessibles à tous, incarnant notre diversité de terroirs et notre gastronomie.

J’ai une conviction : la réussite sera collective ou ne sera pas. Parce que nous parlons d’un enjeu de société, qui nous concerne tous, en tant qu’individus, en tant qu’entreprises engagées, en tant que Nation. Nous agissons déjà ensemble avec nos partenaires historiques :

  • Avec nos collèges de la CNMCCA : Groupama, MSA, Crédit Agricole.
  • Bien sûr avec l’ensemble des acteurs de l’amont au sein du Conseil de l’Agriculture française : FNSEA, Jeunes Agriculteurs, Chambres d’Agriculture de France.
  • C’est ce que nous faisons aussi avec les acteurs de l’aval : l’ANIA, au sein du Contrat stratégique de la Filière alimentaire. En travaillant à faire le lien entre ces deux maillons de la chaîne.

Mais j’appelle à aller plus loin. A partager une ambition pour une nouvelle France alimentaire, forte et fière de ses filières, de ses produits, de sa capacité à remplir une fonction vitale : celle de nourrir les Français. Nourrir les hommes et les femmes au-delà de nos frontières. Monsieur le Ministre, je vous propose un nouveau Pacte social pour une souveraineté alimentaire avec tous les acteurs de la chaîne, avec l’ensemble de la société et avec les pouvoirs publics. Ce pacte, c’est une union, c’est même une réconciliation ; où chacun de nous va devoir prendre sa part.

Parce que nous avons besoin de converger et de réinventer les interactions entre nous afin de mieux vivre ensemble. Parce que nous avons besoin de sortir de nos antagonismes et de la guerre des prix destructrice de valeur depuis trop longtemps. Le pouvoir réglementaire ne peut pas tout ; il ne remplacera jamais le besoin de responsabilisation des acteurs.

M. le Ministre, je vous remercie pour votre soutien et votre accompagnement pour favoriser l’écoute et objectiver la situation économique dans les relations commerciales. Mais quand l’appel à la responsabilisation ne fonctionne pas, quand ça ne suffit pas, il nous faut bien trouver des solutions pour prendre en compte nos coûts industriels dans les tarifs. Dans la nouvelle période de négociations qui s’est ouverte, il faut aller vite pour avoir des résultats dès le mois de janvier : c’est-à-dire, avoir une prise en compte plus réactive et corrélée à la réalité de nos coûts.

Dans une situation inflationniste comme celle que nous vivons depuis plusieurs mois, cette prise en compte devient tout simplement vitale pour nos entreprises. La question du prix de l’alimentation est ici saillante. Nous entendons bien sûr l’impérieuse nécessité de préserver le pouvoir d’achat des Français, d’autant plus avec l’inflation actuelle. Mais pour que l’alimentation française perdure, au bénéfice de tous, il est indispensable que les entreprises puissent dégager des marges. C’est une nécessité pour rémunérer les agriculteurs, valoriser le travail des salariés, mais aussi pour investir, conduire les transitions, décarboner les activités, moderniser les usines.

L’alimentation ne peut plus être la variable d’ajustement du budget des ménages. L’alimentation a un prix. Et ce prix doit être payé. Nous avons donc besoin que nos consommateurs et citoyens comprennent nos activités de production et de transformation, et fassent le lien avec le contenu de leurs assiettes, en comprenant que l’un ne va pas sans l’autre. Pour continuer à "manger français", l’engagement des Français doit donc être double :

  • 1/accepter de payer le juste prix de l’alimentation pour que chacun puisse vivre de son métier ;
  • 2/ comprendre que manger français demain est indissociable des fermes et des usines dans leurs territoires, à côté de chez eux.

Ce Pacte avec la société civile, nous le travaillerons tout au long de l’année 2023 avec notre comité des parties prenantes, que nous avons mis en place cet automne. Outre les distributeurs et les citoyens, nous avons besoin que les décideurs publics s’engagent davantage. Comment ? En facilitant notre capacité à produire plus, à produire mieux et durable, avec des politiques publiques cohérentes, pragmatiques et en soutien de nos activités, sur tous les maillons de la chaîne.

A cet égard, les difficultés rencontrées aujourd’hui face au parti-pris de l’Autorité de la Concurrence dans la consolidation des entreprises de notre secteur est un handicap majeur à la compétitivité de nos activités, et même à leur pérennité. Nous avons besoin d’en faire évoluer les règles si nous voulons réussir.

La cohérence et le pragmatisme doivent d’ailleurs s’inscrire tant au niveau français qu’au niveau européen : les distorsions de concurrence avec les autres Etats membres que nous subissons depuis des années, et plus récemment avec les impacts de nos factures énergétiques, ne font que grever, inexorablement, notre compétitivité. Que faisons-nous pour cesser de creuser l’écart entre Européens ? Une situation qui met à mal le Marché unique et nuit aux intérêts de la France.

Nous pouvons nous inquiéter des décisions protectionnistes de certains pays tiers ; nous pouvons déplorer leurs partis-pris. Mais la vraie question est : que faisons-nous au niveau européen pour être plus fort ensemble ? Que faisons-nous pour assurer un équilibre du rapport de force avec les Etats-Unis, la Chine, la Russie, bientôt l’Inde ? Que faisons-nous de l’Europe, dont nous avons besoin plus que jamais ?

Le risque aujourd’hui est de perdre, tout simplement si j’ose dire, nos capacités productives, à l’image de notre industrie textile. Nous avons besoin de filières fortes, productives, en France et en cohérence avec l’Europe, pour assurer notre souveraineté mais aussi pour répondre aux attentes de tous les marchés, y compris à l’export. Assurer l’avenir passe aussi par l’engagement des pouvoirs publics sur des partenariats publics-privés plus fluides et efficaces : que ce soit pour investir à la hauteur des enjeux de transformation ou pour permettre une recherche dynamique, innovante et adaptée aux besoins de notre nouvelle France alimentaire.

Ces partenariats publics-privés doivent aussi révéler toute leur pertinence sur la question de la formation. Et je m’arrête un instant pour souligner l’importance stratégique de ce sujet. Benoît Bonaimé, que je remercie à nouveau de sa présence, nous l’a exposé tout à l’heure. Nous avons besoin de jeunes dans nos filières et nos entreprises. Beaucoup de jeunes… si nous voulons poursuivre nos activités, et répondre aux défis futurs ! Des jeunes qui soient formés et dont les compétences répondent aux besoins des entreprises. C’est un des enjeux forts de la Loi d’Orientation Agricole que vous portez avec conviction et détermination Monsieur le Ministre. Et il y a urgence à avoir, là aussi, une approche globale du sujet : assurer demain, c’est assurer nos capacités productives. Nous ne le dirons jamais assez : au-delà de l’installation, il s’agit d’accompagner des parcours économiques réussis au sein de filières organisées et compétitives.

J’insiste : un Pacte implique un engagement réciproque, des engagements de chacun de nous. L’engagement de nos clients, de la société et des pouvoirs publics à l’égard de nos forces productives, nous venons de le voir. Mais aussi bien sûr, notre engagement, celui des coopératives à travers les 4 axes prioritaires que j’ai partagés tout à l’heure : décarboner, être plus agiles, optimiser nos flux logistiques, développer notre attractivité. Pour accompagner ces transformations sur toute la chaîne alimentaire, les 9500 conseillers des coopératives agricoles sont engagés au quotidien auprès des agriculteurs. Ils font évoluer les modes de production, mettent en place les meilleures solutions alternatives en matière de biodiversité tout en accompagnant la viabilité économique des filières.

Côté industriel, nous sommes en ordre de marche pour transformer nos chaînes de production et nos usines. C’est donc bien une démarche globale et collective et je veux saluer l’engagement, au quotidien, de tous les agriculteurs et de tous les salariés de notre tissu coopératif. L’enjeu est immense. Nous sommes au rendez-vous. Tous ensemble, nous devons assurer le présent, régler les urgences. Et bâtir l’avenir. Tous ensemble, nous avons maintenant à fonder notre Pacte pour la souveraineté alimentaire. Monsieur le Ministre, vous n’êtes pas seulement le ministre de l’Agriculture, vous avez aussi choisi d’être celui de la Souveraineté alimentaire. Et je m’en réjouis !.

Cette double compétence va nous permettre de ne plus dissocier les enjeux agricoles de ceux de la chaîne alimentaire. Vous allez, j’en suis sûr, nous donner les moyens d’adapter notre agriculture et de faire comprendre et accepter à tous les impératifs qui nous attendent. Il s’agit bien d’un choix d’avenir, politique et stratégique, économique, environnemental et sociétal. Et n’oublions jamais que la souveraineté alimentaire ne se fera qu’à partir de nos territoires. Au cœur de nos territoires. En résonnance avec le monde et ses évolutions. M. Le Ministre, pour être à la hauteur de tous ces enjeux et bâtir la nouvelle France alimentaire, nous n’avons qu’un seul choix possible : relever le défi ensemble.

Dominique Chargé,

Président de La Coopération Agricole