« Il est urgent d'ériger l'alimentation en grande cause du quinquennat »

Mis à jour le 28/06/2022
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"La tragique guerre en Ukraine révèle brutalement la fragilité de l’indépendance agricole française. Les spécialistes et les professionnels tiraient le signal d’alarme à ce sujet depuis des années. Ce conflit vient nous placer au pied du mur de la souveraineté alimentaire : la France sera-t-elle, dans les années à venir, encore en capacité de nourrir tous ses enfants ? Ce n’est pas certain. Pour éviter un tel désastre, il faut agir maintenant. Le défi est immense et collectif : producteurs, acteurs de l’agro-alimentaire, citoyens et consommateurs sont à bord du même bateau. 

La Russie et l’Ukraine pèsent pour un tiers des exportations de blé dans le monde. Ces deux pays représentent également 80 % des échanges mondiaux d’huile et de tourteaux de tournesol… La tension qui en résulte sur les marchés fait exploser les prix. C’est un « choc céréalier » que nous subissons comme on a parlé de « choc pétrolier » dans les années 1970. Qu’importe, la France, nation paysanne par excellence, devrait y gagner pourrait-on penser… Hélas, notre pays a perdu sa position de premier exportateur agricole au sein de l’Union européenne en 2018, tandis que nos importations ont presque doublé en 20 ans. Et, si la tendance actuelle de la balance commerciale se poursuivait, notre secteur pourrait connaître son premier déficit depuis près de 50 ans en 2023. Dans certaines filières, notre population se nourrit déjà davantage de produits importés que français. Nous ne sommes donc pas protégés de ce choc : cette hausse spectaculaire des prix agricoles va être payée par le producteur, toute la filière de fabrication des produits, et, in fine, par le consommateur.
Par ailleurs, le conflit ukrainien fragilise notre production par l’augmentation des prix de l’énergie qu’il entraîne. Le prix du gazole non routier (GNR), utilisé pour les machines agricoles, a flambé de 0,7 € le litre en novembre 2020 à plus d’1,5€ aujourd’hui. Ce doublement du prix de l’énergie n’est pas tenable à court terme. Il dévore les marges des agriculteurs, dont certains se retrouvent au bord du gouffre, et est répercuté directement à l’achat.    

Enfin, la Russie est le premier exportateur d’engrais azotés et le deuxième fournisseur d’engrais potassiques et phosphorés… Les prix de l’urée, un engrais azoté, ont par exemple plus que triplé ! A ce prix-là, il n’est plus rentable d’acheter des engrais et nos rendements risquent d’en pâtir…

Le conflit a donc un triple effet inflationniste sur les marchés agricoles, par la cause d’un choc d’offre de la matière première agricole, de l’énergie et de fertilisants. Une partie de nos agriculteurs et de nos entreprises risque de ne pouvoir s’en relever, ce qui affaiblirait d’autant ce secteur, déjà à la peine et aurait des effets néfastes sur l’ensemble de la chaîne agro-alimentaire qui est menacée, et avec elle, notre alimentation.  

Il est donc urgent d’ériger l’alimentation en grande cause du quinquennat à l’égal d’autres causes priorités fondamentales comme la sécurité, la santé et l’éducation. Il est urgent d’assurer la relocalisation de notre alimentation : cela est d’autant plus indispensable que la crise que nous vivons n’est pas que conjoncturelle, liée à l’Ukraine, elle s’est dessinée structurellement dans un passé récent, qui a vu notre agriculture et notre agroalimentaire décliner, et dans un futur proche qui va voir le nombre de bouches à nourrir croître de deux milliards d’ici 2050, alors même que plus de 800 millions de personnes souffrent de faim aujourd’hui.

La Coopération Agricole, qui regroupe près de 2200 coopératives en France pour 190 000 salariés et 86,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, propose notamment de produire « plus », « mieux », et « durable » pour restaurer notre souveraineté alimentaire. Ce « new deal » sectoriel doit se faire dans le cadre européen qui nous donne la masse critique pour peser à l’international et imposer nos normes. 

Produire plus est une évidence quand on risque la pénurie : céder aux lubies « décroissantes » serait au contraire absurde et mortifère. Cela implique d’abord une stratégie nationale pour construire de grands champions nationaux qui passe notamment par une baisse des charges et des impôts qui affaiblissent notre compétitivité : les opportunités de l’alimentation française doivent aussi s’enrichir avec un assouplissement des possibilités par les acteurs publics d’acheter des produits français. Enfin notre agriculture est concurrencée par des pays qui respectent moins de normes sociales, sanitaires ou environnementales que les nôtres. Notre vertu devient une faiblesse ! Nous proposons d’instaurer un principe d’équivalence des normes avec les pays tiers pour garantir l’absence de distorsion de concurrence au sein de l’Europe comme avec les pays extra-européens.

Produire mieux, c'est produire avec moins de carbone, moins de chimie, moins de plastique. Pour financer cette transition, il faut créer un Fonds qui investirait dans la modernisation et le verdissement de l’outil productif. Il faut également conditionner les décisions de retrait ou de restriction des traitements (phytosanitaires par exemple) à l’existence de solutions alternatives viables.

Enfin, produire durable, c’est continuer à participer à la dynamique socio-économique de nos territoires en poursuivant les efforts de promotion et d’apprentissage des métiers de nos filières alimentaires. Objectif : renouveler les forces productives alors que la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d’ici à 2030.  C’est également créer un « chèque alimentaire » pour faciliter l'accès des plus démunis à des produits frais et en circuits courts.

Ce plan est ambitieux. Mais il est crucial. Sans de telles mesures, nous ne pourrons enrayer le déclin agricole et alimentaire français.  Durant l’antiquité, des pays comme l’Egypte ou la Tunisie étaient considérés comme les greniers de Rome. Ils sont aujourd’hui dépendants de la production agricole étrangère. A la merci des émeutes de la faim. C’est le spectre qu’il nous faut combattre aujourd’hui." 

Par Dominique Chargé, Président de La Coopération Agricole

(Tribune parue sur le site du Figaro, le 27/04/2022)